Lost - Le bilan définitif d’une série légendaire (2/2)

/ Dossier - écrit par Koub, le 13/10/2010

Lost, c'est fini. Koub, un lecteur de Krinein, nous propose son analyse complète d'une série truffée de qualités et d'incohérences (deuxième partie).


Lire la première partie du dossier


The End

Il y a deux façons d'appréhender la fin de Lost. Il y a l'approche radicale, celle des intégristes, qui mène à la désolation. Cette approche consiste à assister à l'implosion d'un mythe qui, jamais, n'aura apporté les réponses promises, et qui n'aura même pas été capable d'offrir une conclusion humaine digne de ce nom aux protagonistes de la série.

Et puis, il y a une approche plus pragmatique, qui consiste à accepter que Lost n'est qu'une série télévisée : aussi brillante soit-elle, elle n'est qu'un programme. Si l'on accepte que l'essentiel est le voyage accompli et non pas l'arrivée, si l'on est prêt à accepter que Lost n'est qu'une gigantesque digression sur la foi et sur la
science, si l'on comprend que Lost est avant tout une histoire de gens et pas un polar avec un meurtrier qui doit être identifié et attrapé à la fin, alors il est possible de vivre le dénouement de Lost le cœur léger et empli de satisfaction. Le double épisode final de Lost est une œuvre majeure, de ce point de vue. Absolument parfaites, comme touchées par la grâce, les dix dernières minutes du show sont belles à en pleurer. Et si elles méritent une analyse approfondie car elles ont beaucoup à livrer, paradoxalement, il faudrait se garder de trop les disséquer, tant les conclusions risquent d'être décevantes. La conclusion de Lost est avant tout un concentré d'émotions, c'est une formidable illusion menée de main de maîtres, dont il ne faut s'extraire que si l'on est prêt à accepter la faillite du système Lost.

La fin de Lost, telle qu'il faut savoir l'apprécier, est l'occasion de voir se retrouver des personnages qui ont tellement souffert mais que l'on a tant aimés. C'est l'occasion de revivre une dernière fois, au-travers de flashbacks certes un peu faciles mais terriblement efficaces, cette série que l'on a adorée. Pour apprécier la conclusion, il faut se dire que Lost nous racontait juste une histoire de gens, il faut se laisser porter par la musique magnifique de Michael Giacchino et par les images, il faut se laisser aller à ses émotions, et le final est tellement réussi que l'on y réussit sans peine. C'est peut-être de la guimauve, mais c'est de la guimauve de luxe. Il faut oublier la supercherie, chasser de sa mémoire les imperfections et les incohérences, et accepter ce que les scénaristes ont décidé de nous offrir pour leur conclusion. Il faut comprendre que les paroles du père de Jack (« Move on, and let go ») ne s'adressent pas qu'à Jack, mais aussi à nous-mêmes : il faut accepter la série telle qu'elle est, et passer à autre chose. Il faut se laisser porter par la musique, et s'abandonner à la lumière qui engloutit les personnages. A ce moment là, survient l'ultime plan de la série, où l'on voit l'œil de Jack se refermer, en gros plan, dans un ultime écho à la saison 1 pour cette saison 6 qui en était truffée, bouclant la boucle, achevant cette grande aventure que fut Lost.

Si l'on est capable d'en rester là, et de comprendre (accepter) que c'était la seule porte de sortie pour des scénaristes au pied du mur, alors on peut apprécier la conclusion de la série à sa juste valeur. Et à ce moment là, on se sent infiniment reconnaissant envers les scénaristes, pour la magnifique histoire qu'ils ont décidé de nous raconter.

Not leaving, moving on

Passés l'émotion, le recueillement et la satisfaction, vient le temps de la compréhension. Qu'est-ce que les dernières minutes de Lost nous ont réellement montré ? Réponse : la réalité alternative qui nous a été assénée tout au long de cette sixième saison n'était en fait pas une réalité alternative.


Une fois de plus, Cuse et Lindelof se sont joués de nous. Tout le monde imaginait que la "Réalité-X" était le produit de l'explosion de Jughead, la bombe H, dans la singularité électromagnétique de l'île, explosion qui aurait permis de changer le passé pour produire une réalité alternative. Mais non. Pas du tout. Cet univers qui nous a été montré est purement spirituel, il est le produit des esprits des personnages de Lost, qui sont finalement tous morts, certains très tôt comme Jack (qui s'est éteint sur l'île dans le dernier plan de la série), et d'autres probablement beaucoup plus tard, comme ceux qui sont parvenus à quitter l'île ou comme Hurley, devenu plus ou moins immortel. Mais à quoi sert ce monde ? C'est un univers-tampon, un monde-transition entre la vie et autre chose, un « autre chose » que personne ne peut atteindre seul, d'où cette gigantesque réunion de personnages, connectés par le destin, qui ne peuvent passer dans la mort, l'après-vie ou la résurrection que par le biais d'une réflexion et d'une mémoire collectives. Ce qui se trouve derrière la lumière, chacun est libre de l'imaginer selon ses affinités spirituelles ou religieuses. Car, oui, la fin de Lost est éminemment religieuse. La conclusion n'est pas chrétienne pour autant : les scénaristes ont instauré suffisamment d'éléments des autres confessions religieuses pour indiquer que la fin de Lost est spirituelle et religieuse au sens large d'un déisme transcendant, mais pas directement chrétien ou musulman (ou autre).

Maintenant, qu'est-ce que tout cela a à voir avec l'île ? La réponse est consternante : rien, absolument rien, en définitive. A bien y réfléchir, n'importe quelle histoire, simple ou complexe, pouvait se terminer ainsi. La conclusion de Lost est qu'il existe une vie après la vie, et que l'on ne peut y accéder que collectivement. C'est tout. Dès lors, à quoi bon l'île ? Pourquoi avoir inventé (sans jamais l'expliquer) la Statue de Tawaret ? Pourquoi Les Autres ? Pourquoi ? Pourquoi tout ça ?

Pour rien, diront certains. Pour ceux là, toute l'histoire sur l'île, ces six années passées dans le Pacifique, tout ça n'aura servi à rien, et Carlton Cuse et Damon Lindelof se sont tout simplement moqués de nous.

Pour d'autres, il suffira de remarquer que les personnes que l'on a suivies pendant ces six années ne sont pas n'importe qui. Lost est une histoire de gens, et Cuse et Lindelof auraient pu mettre en scène n'importe qui et en venir à l'exacte et même conclusion. Mais non, ils ont décidé de nous raconter l'histoire de ceux qui ont
connu l'île, de ceux qui ont côtoyé la source de l'humanité, de « la vie, de la mort et de la résurrection ». Car c'est sur l'île que se joue la lutte entre le "bien" et le "mal", c'est sur l'île que le Créateur a décidé que seraient définies les valeurs humaines, par les choix que feraient ses habitants, c'est sur l'île que réside le moteur de l'humanité. Et les auteurs, pour nous montrer cette conclusion mystique, ont décidé de nous raconter la vie de ceux qui l'ont vécu au plus près. Il y a donc du sens à nous avoir raconté cette histoire plutôt qu'une autre même si, il est vrai, n'importe qu'elle autre aurait tout aussi bien pu mener à la même conclusion.

La réalité sur la fin de Lost n'est cependant pas à chercher dans la série elle-même. Il faut s'extraire du show et se tourner vers Carlton Cuse et Damon Lindelof pour réellement comprendre la fin de Lost. Et, à bien y regarder, la conclusion est relativement simple. Pour masquer leur échec, pour tenter de maquiller le fait qu'ils n'avaient aucune réponse vraiment satisfaisante à apporter à leur création, les scénaristes ont inventé ces fameux flash-sideways, ultime variation sur le thème de la narration décalée, et ont joué leur va-tout : véritable tour de passe-passe, cette Réalité-X n'est finalement qu'un gigantesque écran de fumée. Pour pallier au vide de la véritable conclusion dramatique de Lost (celle qui se passe sur l'île, là où tout aurait dû finir), les scénaristes ont entrecoupé cette fin avec la conclusion absolument hors de propos mais diablement bien menée des flash-sideways. La démarche est habile : la fin sur l'île est trop light ? Aucune réponse satisfaisante n'est apportée ? Aucune conclusion sérieuse pour les personnages à bord de l'Ajira 316 n'est trouvée ? Peu importe, regardez ce que l'on vous offre à côté pour vous le faire oublier : une belle réunion larmoyante dans une église new-age, magnifiquement montée en parallèle de la mort du personnage principal, avec franchissement des portes de l'au-delà à la clé. Rien que ça. Et  peu importe que ces (très) belles images n'aient rien à voir avec ce que l'on nous a montré ces six dernières années. Habilement montée, cette double fin, aussi creuse que décalée, parvient pourtant à émouvoir. Parfaitement mise en scène, cette double fin parvient, tant bien que mal, à conclure une série finalement imparfaite mais en tout point légendaire.

The New Man in Charge

Quelques mois après le Series Finale, les auteurs de Lost dévoilent un épilogue intitulé 6x19 - The New Man in Charge. Ce n'est pas une véritable suite, car la série s'est bien achevée avec The End, mais cet épilogue est tout de même un petit bijou : en l'espace de douze minutes, Carlton Cuse et Damon Lindelof parviennent à recréer toute la magie de la série.

C'est donc avec un immense plaisir que l'on retrouve Michael Emerson et sa tête de fouine, qui s'en va expliquer à deux agents de la DHARMA médusés certaines des grandes énigmes de la série, avant de s'en aller retrouver Walt, oublié depuis une éternité (malgré une brève apparition en saison 5), pour lui offrir une conclusion digne de ce nom.

Dans cet épilogue, les showrunners font preuve d'un humour et d'une intelligence
remarquables, parvenant à condenser en quelques minutes plus de réponses à plus de questions qu'aucun épisode de Lost auparavant. C'est du grand art, et l'on donnerait cher pour mettre la main sur le fameux classeur tenu par Benjamin Linus dans cet épisode, car toutes les réponses à toutes les questions y sont sûrement consignées... Il est terriblement frustrant de voir tant de réponses apportées dans un épisode qui n'en est même pas un, et c'est à se demander pourquoi Carlton Cuse et Damon Lindelof n'en ont pas révélé plus, plus tôt. Car The New Man in Charge prouve que les auteurs, à défaut d'avoir toutes les réponses depuis le début, étaient tout à fait capables d'apporter a posteriori des explications solides à tout ce qu'ils ont pipoté pendant six années. C'est frustrant, réellement, d'imaginer toutes ces réponses qu'ils auraient pu mais qu'ils n'ont pas voulu nous apporter. La Statue de Tawaret par exemple, cet objet de toute beauté, qui aura enflammé le web comme jamais, aurait vraiment mérité ce traitement de faveur. Mais ce n'était tout simplement pas l'intention des showrunners : comme ils l'ont annoncé, ils ne voulaient pas faire de The End une gigantesque foire aux questions, didacticiel à la clé. Ils se seraient faits, disaient-ils, trucider. The New Man in Charge ressemble presque à une revanche de leur part : conspués pour ne pas avoir apporté de réponses, ils prouvent ici que ce n'était pas par incapacité, mais par choix. Les fans hardcore resteront sans doute frustrés à jamais par ce choix, rêvant de pouvoir mettre la main sur le Saint Classeur de Benjamin. Mais les auteurs en ont décidé autrement. Ils sont parvenus à terminer leur série au-delà d'elle-même, avec une touche humoristique, et ont montré par la même occasion qu'ils auraient pu tout expliquer. S'ils l'avaient voulu.

Across the Sea

Pour aller plus loin, pour savourer tout ce que Lost a à donner, pour découvrir ce qu'il y a par-delà l'océan lostien, il n'est pas possible d'en rester là. Il existe une multitude de textes et d'analyses, ainsi qu'une quantité effrayante de digressions sur les forum. Tout consulter est impossible. S'y essayer est désarmant. Mais on pourra tout de même citer les analyses de Jeff Jensen de l'Entertainment Weekly.
Fou furieux du show, Jensen a produit des textes géniaux sur la série. Il faut compter une douzaine de pages d'analyse par épisodes. Présenté comme ça, c'est assommant, mais il faut se dire que le bougre a du talent. Ses textes sont construits, drôles et pertinents. S'en tenir aux analyses des derniers épisodes est envisageable, pour entrevoir l'effervescence qu'a pu susciter Lost. Plus abordables, car écrits en français, il y a les textes du Lostomètre, un blog assez génial hébergé par Le Monde. On pourra aussi citer les critiques publiées sur Perdusa, où Lost en prend méchamment pour son grade. Le moindre écart et la moindre incohérence de la série sont systématiquement montrés du doigt et passés au marteau piqueur d'une critique acide mais lucide, écrite avec beaucoup de justesse, qui détonne dans le monde habituellement plein de louanges des critiques de Lost (Cuse et Lindelof y sont ouvertement traités de grosses taches). Globalement très bien vues, parfois d'une totale mauvaise foi, mais toujours drôles, les analyses de Perdusa sont à lire absolument pour prendre du recul mais aussi pour voir que, malgré tous les défauts que l'on pourra déceler dans Lost, celle-ci n'aura laissé personne indifférent, en étant capable de scotcher même ses plus ardents opposants.